Safety measures concerning the Coronavirus COVID-19. Read more about the measures.

x

Pierre Gramegna AFP interview (French version)

Interviews

Pierre Gramegna, Directeur général du Mécanisme européen de stabilité
Entretien avec l'Agence France Presse
5 juillet 2025
Intervieweuse : Martine Pauwels
Langue originale : français
 


AFP : Quel est votre regard sur la situation économique de l’Europe par rapport aux Etats-Unis ?

Pierre Gramegna : On peut voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. Je soulignerais d'abord le fait que malgré la baisse du commerce international due aux tensions géopolitiques, la guerre en Ukraine et tous les efforts qui ont dû être faits à cause de la crise énergétique, l’Europe a une croissance, certes faibles mais une croissance quand même, légèrement en dessous de 1% depuis trois d'années.

Mais là où le vide verre est à moitié vide, c'est que l'Europe a eu un taux de croissance qui est la moitié de celui des États-Unis sur les dernières années. (…) Cela nous handicape évidemment. Avec une croissance faible, Il est beaucoup plus difficile de générer des revenus fiscaux et beaucoup plus difficile en même temps de faire face aux défis en matière de dépenses, notamment dans le domaine militaire. Il faut plus de croissance à l'Europe pour réussir à stabiliser les déficits publics et les rendre compatibles avec le Pacte de stabilité et de croissance. 

Quels risques doit affronter l’UE dans ce contexte ?

(Il y a) potentiellement des risques d'instabilité financière. Avec les dernières décisions de l'OTAN qui exigent des pays européens de dépenser 5% de leur richesse pour la défense et la logistique, ce sont des dépenses colossales additionnelles qui viennent s'ajouter. Cela donnera donc des tensions dans les budgets nationaux. Nous avons l'obligation, bien sûr, de respecter le Pacte de stabilité et de croissance. Au cas où il y aurait des risques de dérapage, le Mécanisme européen de stabilité est là si comme instance de dernier recours des pays rencontraient des difficultés à se financer sur les marchés financiers. 

Comment l’UE peut-elle stimuler la croissance ?

Il est vain de penser qu'on va revenir en arrière, à ce que l’on a connu depuis la Deuxième Guerre mondiale, c'est-à-dire un ordre qui favorise la coopération internationale et le multilatéralisme, le respect des traités, l'Etat de droit et un commerce mondial qui augmente. (…) Il faut donc s'ajuster au monde tel qu'il est en train de se transformer, qu’il nous plaise ou pas, à nous Européens.

Dans ce contexte, il est fondamental de nous concentrer sur ce qui est entre nos propres mains.  (…)  Le rapport d’Enrico Letta sur le marché unique et le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité (…) nous donnent toute une série de pistes. Il faut investir plus dans l'innovation : Mario Draghi parle de 800 milliards d'euros par an (dont) 75% à 80 % sont des investissements privés – Les Etats ne peuvent pas tout financer. C’est ce décalage dans l'innovation et dans l'investissement qui explique le retard de croissance accumulé avec les Etats-Unis et d'autres pays. 

Et le marché unique ?

Le marché unique est un des très grands succès de l'Union européenne depuis sa création, avec la création de l'euro. Simplement, ce marché unique a été négocié dans les années 1980 et a commencé sa vie en 1993, quand il n’y avait pas les économies digitales, ni l’intelligence artificielle et les biens jouaient un rôle plus important que les services. Ce n’est que chose normale que de le moderniser.  

Vous plaidez pour une mobilisation de l’épargne ?

Nous avons encore, dans certains domaines, des marchés très fragmentés. Nous avons par exemple 27 marchés des capitaux: quand un investisseur américain ou chinois regarde l'Europe, il faut qu'il connaisse le système législatif ou les spécificités de 27 pays. Dans le domaine financier, c'est particulièrement palpable et visible et cela nous met au désavantage par rapport au reste du monde. 

Nous avons accumulé une épargne privée colossale de 33 000 milliards d’euros, qui s’investit en grande partie hors d’Europe. Il faut donc faire une union de l’épargne et de l’investissement, essayer de canaliser notre épargne qui est la plus élevée au monde vers des investissements productifs sur notre continent (par exemple) dans le domaine pharmaceutique ou de la haute technologie.  

Quelles initiatives ont-elles déjà été prises par la Commission ?

La Commission, au cours des derniers mois, a agi (…) en réalisant que nous avons besoin de simplifier nos règles, que nous sommes allés trop loin dans la réglementation et que la  gestion des données, les obligations de déclaration et contraintes sont telles qu’elles deviennent ingérables pour les PME et même pour les grosses entreprises. La première directive Omnibus a été proposée, il faudra continuer dans cette direction.

Elle a déposé aussi une directive sur la titrisation, qui n’avait pas bonne presse à cause des excès qu'il y avait eu durant la crise financière de 2008-2009. Mais la réglementation va tellement loin que l'on ne peut pas s'en saisir et l’utiliser. 

Le MES aurait-il un rôle à jouer dans un éventuel Mécanisme européen de défense ?

La Commission, lorsqu'elle a publié son rapport sur la défense il y a quelques mois, a proposé un mécanisme de prêt de 150 milliards auquel certains pays peuvent accéder. Au cas où ce chiffre ne serait pas suffisant, elle dit qu’on pourrait réfléchir au rôle que pourrait jouer le MES, (…) créé pour assurer la stabilité financière de la zone euro et donc éviter les contagions pouvant découler d’une faiblesse de l'un ou l’autre Etat membre.  

Si les contraintes de dépenses militaires venaient à créer des risques de stabilité financière dans l'un ou l'autre pays, eh bien c'est exactement les situations pour lesquelles le MES existe.  

J'entends beaucoup de voix qui disent qu’il faudrait des financements communs européens dans le domaine militaire. C'est mettre la charrue avant les bœufs. Il vaut mieux d’abord se mettre d'accord sur des projets communs - cela peut être des tanks, des avions, un bouclier antimissile. 

Que répondez-vous à la menace chinoise de taxer les importations de Cognac français ?

Jusqu'à présent, la Commission européenne s'est comportée de manière extrêmement responsable et habile dans cette guerre commerciale rampante qui nous entoure. D’abord en essayant de négocier avec les Etats-Unis (…) pour éviter l’escalade. Il faut rester dans cette stratégie pour montrer notre bonne foi. Vous avez cité l'exemple du Cognac, il y aura peut-être demain un exemple qui touche particulièrement un autre pays de l'Union européenne : il faut trouver des réponses communes, qui évitent l'escalade.

Contacts

Head of Communications and Chief Spokesperson
+352 260 962 205

Deputy Head of Communications and Deputy Chief Spokesperson
+352 260 962 551

Principal Speechwriter and Principal Spokesperson
+352 260 962 654